Javier Ciga (Pampelune 1877 – 1960)
Originaire de Pampelune, Javier Ciga Echandi est lié au Baztan par sa mère et par sa femme, les deux originaires de cette vallée navarraise. Il épouse en 1917 Eulalia Ariztia née à Elizondo. Aussi, il peindra souvent le paysage, les types populaires et les traditions du Baztan.
L’œuvre de Ciga plonge ses racines dans le postromantisme et le réalisme. Du premier, elle emprunte l’amour de la terre natale et du peuple qui l’habite. Ce sont ses sources d’inspiration. Du second, elle prend l’obsession de la forme et le désir d’atteindre la perfection du réel en dépassant l’académisme. Grâce à la rigueur technique et au métier bien appris, l’artiste réussit à transcender son sujet et à produire une peinture équilibrée et sereine.
Lors de son séjour parisien, il s’imprègne des nouveaux styles et techniques : impressionnisme, postimpressionnisme, constructivisme. Mais consciemment, Ciga reste fidèle à son idéal esthétique, lié à la perfection réaliste et aux grandes valeurs de la peinture, alors qu’en Europe se succèdent les avant-gardes avec un art empruntant des chemins de traverse insoupçonnés.
Ciga utilise un vaste éventail de genres et de techniques : portrait, peinture ethnographique et de paysage, nus académiques, nature morte, sujets religieux, thèmes historiques, allégoriques, symboliques et inspirés des légendes basques, etc. Les techniques employées sont l’huile, la gouache, l’aquarelle, le crayon, le fusain, la lithographie.
La peinture de Ciga se fonde sur le vrai et le réel qui permettent de contempler un monde aujourd’hui disparu. Grâce à sa peinture, le spectateur peut toujours découvrir ce monde comme s’il s’agissait d’un document sociologique et ethnographique.
Evolution artistique
1. La formation et les premières œuvres (1892 – 1908)
Depuis l’enfance, Ciga montre une grande aptitude pour le dessin. A partir de 1892, il commence son apprentissage à l’Ecole des Arts appliqués de Pampelune. Il reçoit l’enseignement de maîtres connus : Carceller, Zubiri et García Asarta. En 1908, 1909 et 1910, il reçoit le premier prix du concours d’affiche des fêtes de Pampelune. Il renouvelle complètement cette technique, et la dote de valeurs picturales. Dans ces années, il fait ses débuts dans l’art du portrait, un genre où il acquiert une grande maîtrise et qui constitue un des piliers de sa carrière picturale.
2. L’étape de Madrid (1909 – 1911) et le voyage en Europe
A cette époque, la carrière de Ciga connait un développement inespéré grâce au mécénat des Urdampilleta, des parents américains originaires d’Elizondo. Ceux-ci l’aident à s’installer à Madrid et plus tard à Paris. L’année 1911 – 1912, le voit entrer à l’Académie de San Fernando à Madrid où il suit les cours de Moreno Carbonero et de Garnelo. Il y obtient le titre de professeur, cinq diplômes de première classe et deux de seconde classe, en plus de la médaille d’or. Il visite assidument le musée du Prado et apprend au contact des grands maîtres du Baroque, en portant une particulière admiration à l’œuvre de Velasquez et de Goya. De cette étape madrilène, on retiendra dans la production de Ciga ses dessins pour l’Académie et des types populaires. Avec son maître et ami Garnelo, il entame en 1911 un voyage à travers l’Europe qui est très fructueux pour son apprentissage artistique.
3. L’étape de Paris (1912 – 1914), formation et maturation
Le séjour parisien, de 1912 à 1914, est le plus fécond pour le nombre et la qualité des œuvres produites par Ciga. L’artiste intègre dans sa technique des influences impressionnistes avec des coups de pinceau isolés, et postimpressionnistes avec une géométrie cézannienne appliquée à l’architecture des fermes ou à la nature morte. Le meilleur exemple en sont les petits panneaux de paysages parisiens où il capte les variations atmosphériques et l’effet nébuleux de la lumière tamisée et virginale de Paris.
En plus de ses visites au Louvre, Mecque de l’art classique et réaliste, Ciga suit en élève libre les cours des académies les plus réputées du moment : la grande Chaumière, Colarossi, et surtout l’Académie Julian où il reçoit l’enseignement du très fameux Jean-Paul Laurens, dernier grand maître de l’académisme français appliqué à la peinture historique et religieuse.
L’évènement le plus important est la réception de Ciga comme membre du Grand Salon de Paris et l’exposition au printemps 1914 au Salon officiel de son tableau Le Marché d’Elizondo. La même année Ciga peint cinq tableaux de grand format dans une veine narrative et de caractère décoratif pour le Centre Basque de Pampelune, inspirés par l’ouvrage réputé Amaya ou les Basques au VIIIe siècle du romancier essayiste Francisco Navarro Villoslada (Viana, Navarre, 1818 – 1895). Dans ces peintures se mêlent le thème historique et le costumbrisme dans le but d’exalter l’ethnie basque en accord avec les postulats esthétiques et idéologiques de l’époque. Sont présentés dans l’exposition deux exemples : Au pied de l’arbre de Jauregizar et Proclamation du premier roi de Navarre.
Le déclanchement de la Première Guerre mondiale et la ruine de ses parents mécènes interrompent sa carrière parisienne. Il rentre à Pampelune où il débute une nouvelle étape très fructueuse.
4. La pleine maturité (1915 – 1936)
De 1915 à 1936, Ciga a une production artistique importante et féconde dont on retiendra : L’Attelage, Txakoli et Sagardian (les cueilleuses de pommes). Ses œuvres majeures, Le Marché d’Elizondo et Viatique au Baztan, sont de vrais témoignages de son époque où sont rassemblés les coutumes et traditions du peuple basque, lesquelles continuaient à être si vivantes au Baztan. D’un point de vue artistique, ces peintures constituent le point culminant de sa carrière, tant par la maitrise du dessin que par l’habileté de la composition, de la perspective, du traitement de la lumière et de la couleur. En s’inspirant de Velasquez, il introduit dans son tableau un espace réel et une atmosphère vraie.
En 1915 et 1917, Ciga participe aux Expositions nationales de Madrid et aux évènements artistiques les plus distingués de cette période. Parmi les différents genres abordés par Ciga à cette époque, il faut mettre en valeur le paysage, la peinture religieuse et surtout le portrait. Il élève ce dernier genre à un maximum de qualité et devient le portraitiste officiel de la bourgeoisie navarraise. Suivant la tradition romantique, Ciga dispose ses portraits sur des fonds neutres mais nuancés. Il capte l’aspect physique et psychologique du modèle en mettant en valeur par la lumière le visage et les mains, avec la volonté de donner une dignité au portrait.
5. L’engagement politique, la guerre civile (1936 – 1939)
L’engagement politique de Ciga représente un aspect important de sa vie. Fidèle à son idéal nationaliste basque, il défend la langue et la culture basques et participe activement à presque toutes les organisations qui les promeuvent. De 1920 à 1923, en 1930 et 1931, il est conseiller municipal de Pampelune représentant le Parti Nationaliste Basque auquel il est affilié. En 1938, à l’âge de 61 ans, il est arrêté, torturé et jeté en prison pendant un an et demi. Cette expérience si dure pour un homme de son âge le marque pour le reste de sa vie. Il essaie d’atténuer la cruauté de cet enfermement en dessinant des scènes de la vie carcérale. Après deux jugements, il est libéré le 23 septembre 1939. Le second jugement le condamne à verser une amende de 2500 pesetas dont il se libère en peignant un Calvaire commandé par les Pères Esculapiens, tableau dorénavant connu sous le nom de Christ de la Sanction.
6. Dernière étape (1939 – 1960)
Parallèlement à son activité de peintre, Ciga joue un grand rôle didactique dans l’éducation des jeunes artistes. Jusqu’à la fin de sa vie, il enseigne à l’académie de Pampelune, qui porte aujourd’hui son nom, et qui lui rappelle les académies parisiennes qu’il avait fréquentées. Il instaure une méthode libre où la première obligation est de maîtriser absolument le dessin pour ensuite apprendre à dominer la couleur, la lumière, la perspective, la composition, etc. En pratique, Ciga forme comme disciples la grande majorité des peintres de renom de la génération suivante.
La prison, les vexations, la longue dictature franquiste, la vieillesse et ses problèmes de santé (hémiplégie et troubles de la vision) affectent notre artiste et diminuent sa créativité. Ciga se réfugie dans son monde et répète l’idéal esthétique qu’il avait lui-même créé. Ses toiles gardent une grande dignité même si quelques-unes souffrent d’une qualité inégale. En définitive, la décade des années 50 est secondaire dans son œuvre au niveau des expositions et des hommages rendus.
Mais pendant quarante ans, il continue d’enseigner dans son académie « Ciga » qui reste renommée et forme la génération suivante des peintres.
Cet homme essentiellement bon, référence de la peinture navarraise de la première moitié du XXe siècle, maître des maîtres, intellectuel d’un abord simple, idéaliste engagé pour ses idées, meurt dans sa vieille ville de Pampelune le 13 janvier 1960.
Message de la peinture de Ciga
Ciga est le meilleur représentant de la peinture basque de Navarre, et son œuvre la plus grande contribution à sa renommée car elle possède une simplicité naturelle qui allie deux manières de penser et d’être.
Sa peinture est vraie. Elle ne s’arrête pas à l’apparence mais vise l’intériorité la plus profonde à la fois de l’être humain et des réalités matérielles pour rechercher et former l’essence et le transcendant.
L’œuvre de Ciga possède une dimension ontologique. L’être forme et imprègne son œuvre, lui donnant un caractère existentiel qui nous amène à qualifier sa peinture de réalisme transcendant ou métaphysique, dans l’acception littérale du mot. Par-dessus tout, Javier Ciga est le peintre de l’essentiel et du vrai, l’interprète de l’âme et de la société de son temps.
Pello FERNÁNDEZ OYAREGUI
Chaire de l’Enseignement secondaire, professeur d’Histoire de l’Art et Président de la Fondation Ciga, auteur de la biographie Javier Ciga pintor de esencias y verdades.